Texte intégral de l'article
Un exercice des plus savoureux est la relecture des propos d’architectes recueillis par Paul-Henry Chombart de Lauwe à la fin des années 1950 pour son fameux ouvrage Famille et habitation (Chombart, 1960). A l’exception de Bernard Zehrfuss (curieusement ), de Charlotte Perriand (sans surprise, connaissant son souci pour le confort, traduit dans sa création de meubles) et de Le Corbusier (inclassable, comme d’habitude), ils sont accablants d’ignorance et de suffisance envers les manières d’habiter populaires. Comparé à ses aimables confrères, Corbu apparaît le plus impliqué dans le rôle social de l’habitation, ce que son expérience magistrale de Marseille avait bien démontré. En regard du discours euphémisé des générations d’aujourd’hui, ces paroles avaient du moins l’avantage de la franchise, encore qu’il convienne de les replacer dans une époque où la figure de l’architecte faisait de la morgue une vertu professionnelle. Tous ces messieurs, y compris Le Corbusier – Ch. Perriand fait exception – déclaraient se méfier de la parole des habitants , mais suffit-il d’être à son écoute pour la traduire en architecture ? En la matière, l’humanisme n’est pas plus une qualité que la suffisance n’est un défaut ; au-delà de l’expression personnelle des architectes (ou des artistes, des politiques, etc.), il faut examiner leurs œuvres et, pour ce qui nous concerne, évaluer leur réception par leurs habitants. Une telle évaluation est en effet le seul moyen de valider les intentions des architectes, mues autant par le hasard que par le savoir, c’est-à-dire autant par la créativité et le besoin d’occuper une position dans le champ de l’architecture que par une réflexion scientifiquement informée sur les usages. C’est pourquoi les représentations de la famille par les architectes (en termes de composition, de relations, de manières d’habiter) sont ici présentées lorsque leur réalisation a donné lieu à des évaluations de leur usage.. Après un rappel de la mission “ civilisatrice ” de l’habitation seront discutés quelques projets significatifs dans les figures de la polyvalence des espaces, de la partition parents/enfants, de l’ouverture de la cuisine, de l’évolutivité de l’habitation et de l’extension des relations familiales dans les espaces extérieurs communs.
LA MISSION “ CIVILISATRICE ” DE L’HABITATION
Les épouvantables conditions de logement des ouvriers jusqu’à la première guerre mondiale avaient conduit certains bourgeois philanthropes à investir dans les premiers logements sociaux pour combattre, on le sait, et la révolution et la tuberculose. La contrepartie de cette considération fut un droit de regard sur des pratiques populaires à corriger selon un projet éducatif de “ civilisation des mœurs ”, pour reprendre la fameuse expression de Norbert Elias (1973). Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, “ apprendre aux gens à habiter ” était un mot d’ordre partagé par de nombreuses belles âmes, à commencer par les architectes les plus convaincus de la mission civilisatrice de l’architecture. Curieuse coïncidence : l’“ apprendre à habiter ”, de Adolf Loos (1921) et l’appel à “ créer un état d’esprit d’habiter des maisons en série ” de Le Corbusier (1923) sont lancés simultanément aux Questions du mode de vie, de Trotsky (1923), petit livre rouge des architectes constructivistes russes ; la même année, c’est dans un tout autre état d’esprit qu’est créé le Salon des appareils ménagers, rebaptisé deux ans plus tard “ Salon des arts ménagers ”, dont les intérêts bien compris avec l’industrie ne doivent cependant pas le limiter à un rôle de courroie de transmission avec les fabricants d’outillage ménager (Rouaud, 1989). Deux points communs rapprochent ces entreprises d’édification, dont on comprend la fortune du double sens auprès des architectes : la mission éducatrice de l’habitation et l’émancipation de la femme. Tout le monde veut libérer la femme, le célèbre inventeur normand du presse-purée ne faisant qu’appuyer un mouvement revendicatif, divisé cependant sur la place de la femme dans la société : à l’usine, au bureau, ou bien à la maison avec les enfants ? Comme les veaux, ces derniers doivent-ils être élevés sous la mère, à la différence du projet soviétique des années 1920 ?
L’apprendre à habiter pouvant se décliner en une infinité de tâches ménagères à enseigner, on distingue mal le projet éducatif du mode d’emploi de la machine ou de la maison, de même que la frontière est introuvable entre l’apprentissage de l’hygiène et celui des bonnes manières. Les utopistes ont tous redéfini l’équilibre traditionnel entre vie familiale et vie collective, entre cellule nucléaire et institutions communautaires. Dans l’Utopia de Thomas More, les habitations sont de grandes maisons réunissant plusieurs familles et plusieurs générations ; au contraire, dans la Cité du Soleil, de Campanella, chacun habite seul pour éviter la domination paternelle, les enfants étant élevés et éduqués tous ensemble (Clavel, 2002). Le Phalanstère de Fourier et le Familistère de Godin (bien réel quant à lui) n’auraient été que des références de bons vieux philanthropes sans les architectes constructivistes russes, dont la contribution à l’imaginaire de leurs confrères européens est aussi essentielle que les réalisations des architectes sociaux-démocrates de la république de Weimar à Francfort et Berlin. L’impressionnante production idéologique et graphique des constructivistes russes, révélée en France par Anatole Kopp à la veille de 1968 , a nourri toute la génération d’architectes qui contestait les grands ensembles et, jusqu’en 1981, brandissait le slogan “ Changer la vie, changer la ville ” (titre d’un des ouvrages de Kopp, 1975). Dans les années 1960-1970, il n’était pas nécessaire d’avoir lu Trotsky dans le texte pour partager son projet de “ libérer la famille des fonctions et des occupations qui l’accablent et la détruisent ” et d’œuvrer pour que “ les liens du mari et de la femme ne [soient] plus entravés par ce qui leur est externe, superflu, surajouté et occasionnel ” (Trotsky, 1976, p. 82), à savoir la lessive, le ménage, la couture, les repas et … l’éducation des enfants. Aujourd’hui, l’externalisation des services domestiques est effectivement en progression mais le rôle éducatif des parents s’est au contraire spectaculairement renforcé. En architecture du logement, l’invention la plus connue dans l’URSS des années 1920 est celle des Maisons-Communes, institutions collectives destinées à socialiser la garde des enfants, la préparation et la prise des repas, la lessive, etc. Les surfaces privées des cellules étaient d’autant plus réduites que les enfants ne devaient pas cohabiter avec leurs parents . Une telle redéfinition des frontières entre la vie privée et la vie collective n’a pas été suivie par les avant-gardes architecturales, bien qu’elles en aient souvent retenu l’accompagnement du logement familial par des équipements et des services.
La glaciation stalinienne mit fin à ces expériences, au demeurant très peu nombreuses, au nom d’un “ réalisme ” prétendument situé du côté du peuple, ce qui, à retardement (à la fin des années 1970), donnera aux architectes français l’occasion de se diviser sur l’opposition entre un formalisme élitaire et un réalisme populaire. La question posée par l’architecte Bernard Huet , à l’origine de la polémique, était celle, récurrente, du rôle de l’architecture dans l’évolution des modes de vie : l’architecture doit-elle guider le peuple, comme la liberté vue par Delacroix, ou bien le suivre ? Henri Raymond (1984, 1996) répondit alors que l’architecture ne pouvait aller plus vite que la musique des pratiques. Chacun peut aussi constater que l’évolution des mœurs n’a pas besoin d’espaces évolués et que, à l’inverse, l’architecture la plus innovante est le cadre des manières d’habiter les plus conformistes. Il suffit de voir comment les formes architecturales de l’habitat autogéré des années 1970-1980 ne se distinguaient généralement pas de l’habitat conventionnel (Bonnin, 1983), ce qui dit bien l’autonomie des deux logiques sociales et spatiales, dont on n’est pas prêt d’épuiser l’étude des relations réciproques.
Le moment de l’habitat autogéré témoigne de ces tentatives alternatives encouragées par les franges contestataires d’un appareil d’Etat finalement bon prince. La fin de la ville quantitative avait libéré le cadre conceptuel du logement grâce au changement de génération d’architectes et à la stimulation d’organismes publics tels que le Plan Construction. Nos propres enquêtes (réalisées en partie pour ce dernier) nous ont convaincus que l’autonomie de la pensée architecturale vis à vis de la demande habitante crée les dysfonctionnements que l’on connaît trop, mais aussi que l’invention typologique peut être validée par les habitants, fût-ce par détournement, leur compétence spatiale leur donnant des moyens créatifs inattendus. Sans véritablement rompre avec la génération précédente, la relève architecturale des années 1970 s’était en effet fiée à son intuition pour répondre à la diversité d’une demande qui flattait son appétit d’innovation. Les architectes étaient devenus les boîtes à idées de maîtres d’ouvrage, d’élus et d’institutions soucieuses de rénovation d’image (toujours) et d’usages (parfois). Aujourd’hui, l’image l’emporte toujours plus sur l’usage, au point que l’architecture apparaît davantage comme l’un des derniers beaux-arts plutôt qu’une pratique sociale. Le renoncement à toute mission pédagogique pourrait être le bienvenu s’il ne supposait celui de toute ambition sociale. N’oublions pas que l’invitation de Loos s’adressait d’abord à lui-même, “ apprendre ” signifiant aussi bien “ enseigner ” que “ connaître ” .
Quel était donc le programme des architectes vis-à-vis des espaces de la famille, jusqu’à la progressive mise en retrait des intentions à leur égard ?
LOFTS ET “ PLAN BALOIS ”, DEUX REPRESENTATIONS DE LA POLYVALENCE DU LOGEMENT
Le “ vivre ensemble et séparément ” est un vieil idéal, que l’extension de la monoparentalité et de la recomposition familiale a désormais gravé dans le dogme de la conception du logement. Que l’augmentation de la taille des logements soit le préalable à la résolution de cette complexité de situations est une donnée que seul Jean Nouvel a approchée frontalement, en faisant de la formule “ un bon logement est un grand logement ” davantage qu’un slogan : une véritable direction de recherche poursuivie en une dizaine d’années sur quatre projets à Saint-Ouen, Nîmes, Tours et Bezons. Le moyen – n’est-il pas plutôt une fin ? – est celui d’une architecture exagérément appelée high tech, qui, pour ses pseudo lofts , n’utilise pas autant qu’elle le revendique les composants industriels bon marché, mais qui se distingue malgré tout par la taille des logements et par le maximalisme de son parti minimaliste. Maximal versus minimal : l’économie réalisée sur le gros œuvre et sur les finitions autorise en effet des appartements plus grands. Elle sert surtout les intentions esthétiques de Nouvel, puisque, à la simplicité du gros œuvre et aux finitions non finies, s’opposent des postes de dépenses importants en serrurerie et en menuiserie (garde-corps, escaliers extérieurs et intérieurs, fenêtres, à Nîmes portes de garage très coûteuses pour les loggias, etc.).
La première démonstration à Saint-Ouen était plutôt convaincante, quitte à ce que, comme le raconte la petite histoire, l’appel d’offres auprès des entreprises de BTP ait été lancé pour un hangar et non pour des logements. Le résultat, qui a effectivement tout l’air d’une usine, permet cependant de doubler, en moyenne, les surfaces habitables (le loyer subissant une augmentation non proportionnelle, le maître d’ouvrage ayant souhaité tempérer la règle de la surface corrigée). Les expériences suivantes sont moins spectaculaires, malgré la notoriété de Nemausus , due à la réputation de son promoteur de maire (Jean Bousquet) et à une architecture de vaisseaux d’aluminium sur pilotis. Les surfaces sont en moyenne supérieures aux surfaces de référence de 50 % à Saint-Ouen, de 35 % à Nemausus, de 20 % à Tours et de 25 % à Bezons.
Le logement social, commande alimentaire des Grands Prix de Rome dans les années 1950-1960, fut en revanche magnifié par des architectes engagés comme ceux de l’Atelier de Montrouge et de l’AUA, pour lesquels il était une cause (Devillers, 1986). Dans les années 1980, il devient un défi pour J. Nouvel, décidé à bousculer et la culture architecturale HLM et la culture populaire de l’habiter dont il raille “ l’armoire normande ”, “ les petites fleurs et les rideaux bonne femme ” et les “ petits trucs cucul-la praline ” (in Duroy, 1987, p. 7-8). Aux habitants comme aux maîtres d’ouvrage – comme au monde entier – Nouvel veut d’autant plus imposer sa vision de l’architecture qu’elle est minoritaire chez les architectes. Jusque là, le logement social était neutre, dit-il ; avec moi, il va désormais exister – et moi avec. Quand il déclare aux habitants : “ il y a l’espace qui est très permissif mais je vous donne par ailleurs une esthétique qui est très qualifiée et qualifiée sur des critères qui, a priori, ne sont pas ceux que vous connaissez ” (ibid., p. 7), son insolence est certes exaspérante. Pourtant, l’imposition d’une esthétique peut se métamorphoser en choix partagé par des habitants qui l’ignoraient mais qui sont prêts eux aussi à une rupture avec les codes du logement social. N’est-ce pas une manière de retomber sur le conflit, classique, entre le beau et l’utile, alors que l’intention de Nouvel était de réunir l’un et l’autre dans une “ esthétique de vie ” ? (ibid, p. 7). Pour ceux qui adoptent l’esthétique de Nouvel (espace vaste mais minimal, béton brut, fenêtres en longueur, portes de garage, escaliers et bardages industriels, contrastes des gris et des couleurs primaires, etc.), il reste à exploiter au mieux ces mètres carrés qui abondent mais dans lesquels tout reste à faire. Le bénéfice d’un grand logement sur un petit ne va-t-il pas pourtant de soi, pour peu que l’on puisse se l’offrir ?
Ce n’est pas assuré lorsque le plan d’un grand logement n’est autre que celui d’un petit, élargi sous l’effet d’un simple agrandissement photographique. Un grand logement bourgeois ne se contente pas d’agrandir les pièces d’un petit, sa distribution est diversifiée : entrée, office, cuisine, salon, salle à manger, bureau, chambres et chambres d’amis avec leur salle de bains et leur WC, dressings, rangements, etc. Ce n’est pas le cas des logements de J. Nouvel, lesquels, du point de vue de la distribution, se limitent à répondre aux normes du logement social. L’esthétique du loft conduisant même à supprimer l’entrée, à Nîmes les séjours ouvrent directement sur l’espace public de coursives accessibles à tous les badauds, parmi lesquels les étudiants en architecture du monde entier. Certes, la grande taille des séjours permet de rétablir des marquages de seuils ; certes, les grandes salles de bains éclairées naturellement sont un attribut de grand confort mais l’intention de transparence, voire de voyeurisme , fait peu de cas de l’intimité. Il ne fait cependant pas de doute que le gain d’espace brut, l’émotion esthétique et l’esthétique du minimum sont des valeurs chez certains habitants privés de ces dimensions dans le logement ordinaire (et pas seulement celui du secteur social), d’où un certain succès des opérations de Saint-Ouen, Nîmes et Bezons , succès certes décroissant avec la diminution des surfaces d’un projet à l’autre. Dans tous les cas, la composition du groupe domestique est une variable essentielle, l’autonomie de chacun des membres d’une famille nombreuse étant compromise par des espaces trop ouverts et trop transparents.
A l’opposé des lofts de J. Nouvel, ce que nous avons appelé le “ plan bâlois ” reconsidère l’autonomie des habitants par la mise à disposition d’un large couloir, de pièces de taille équivalente et le refus de la partition jour/nuit. Cette partition (entrée, séjour, cuisine séparés des chambres et de la salle de bains) est devenue un dogme dans la conception française sans pour autant jamais avoir été l’objet d’une norme. Selon Christian Moley (1998), c’est le syncrétisme des habitus des ingénieurs, des architectes et des maîtres d’ouvrage qui a fixé cette distribution dans le logement français, validée par les pratiques des habitants. Héritiers d’architectes allemands des années 1920 tels que Bruno Taut et Otto Haesler, certains concepteurs bâlois procédent depuis quelques années à une “ neutralisation ” du plan à partir de plusieurs constats : l’habitant type n’existe pas ou n’existe plus, nous ignorons si les logements que nous dessinons seront habités par une famille suisse ou une famille turque, les enfants passent une bonne partie de leur temps dans leur chambre, nous devons prendre en compte la suroccupation des logements en prévoyant une chambre indépendante (c’est à dire non commandée par le séjour et proche d’une salle d’eau), le logement ne sert pas seulement à l’habitation mais aussi à des activités professionnelles, etc. (Steinmann, in Alder et al. 1993) . Ces architectes en déduisent la nécessité d’une polyvalence des pièces, traduite par le tracé d’un couloir chargé d’un vrai usage et par la diminution de la hiérarchie entre les pièces. Ils refusent la partition jour/nuit et projettent un couloir desservant d’abord les chambres avant d’ouvrir sur le séjour et la cuisine, distribution qui, dans des immeubles minces ou mono-orientés, évite un séjour commandant les chambres. Le plan bâlois a été testé à Paris par la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) lorsqu’elle a fait appel au bureau (comme l’on dit en Suisse) Diener & Diener pour un projet situé rue de la Roquette. Quelques années plus tard, le bureau Herzog & de Meuron, bâlois lui aussi, appliquait ce même plan dans l’un des bâtiments d’une opération rue des Suisses (sic) commandée également par la RIVP (Léger, 2003). L’avantage d’un immeuble mince en terme d’usage va de soi : plus l’immeuble et les appartements sont étroits, meilleur est l’éclairement des pièces. En revanche, on doit interroger le refus de la partition jour/nuit et l’affirmation du couloir à l’heure où la tendance en France est à la réduction de la taille des logements neufs sacrifie l’entrée et les circulations.
Encore nos amis suisses, soucieux de l’autonomie de chaque membre du groupe domestique et habitués à une largesse permise par leur PIB, prévoient-ils des chambres plus grandes que les 9 m2 du logement social français puisque certaines chambres de l’opération de la rue de la Roquette atteignent 16,60 m2, du jamais vu de ce côté-ci du Jura. Ceci ne suffit pas à expliquer que l’inversion du jour/nuit ne soit jamais dénoncée par les habitants, ce qui confirme l’hypothèse de Ch. Moley attribuant cette partition à un habitus des ingénieurs et des architectes, confirmé ensuite par les habitants (voir supra).
La démonstration du plan bâlois dans cette opération n’est cependant probante que pour les familles en situation de sous-peuplement. L’enquête a en effet confirmé le poids de la densité d’occupation du logement, question résolue de manière approximative par les règles des commissions d’attribution des HLM, qui tendent à séparer garçons et filles dès l’âge de sept ans, mais n’empêchent pas deux garçons ou deux filles de cohabiter dans une chambre de 9 m2 jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Dans l’étau de l’offre des logements disponibles et des capacités financières des familles, la hiérarchie des critères d’attribution classe le critère de la composition du ménage après ceux des conditions de logement actuelles du ménage, des conditions de ressources et de la proximité du lieu de travail . La réglementation ne peut pas non plus, bien sûr, apprécier la différence entre, par exemple, ces deux ménages-ci : l’un, composé de quatre personnes, jeunes parents de deux jeunes enfants de sexe différent, pouvant prétendre à un quatre pièces ; l’autre, formé de six personnes (un couple de quadragénaires et leurs quatre enfants, deux filles et deux garçons) réparties sur deux chambres et logées elles aussi dans un quatre pièces saturé par l’accumulation d’objets au cours de vingt années de vie commune. La description de l’encombrement des objets et de leur mise en ordre (et en désordre) fait le délice des écrivains (Perec, 1978, 1985) et des anthropologues (Welzer-Lang, Filiod, 1993 ; Filiod, 2004) mais ne suscite qu’un haussement d’épaule de la part des gestionnaires et des architectes, à l’exception, une fois de plus, de Le Corbusier et de Ch. Perriand, qui avaient élaboré à Marseille une théorie et une pratique des casiers, multipliés en très grand nombre dans chacune des pièces. La taille moyenne des maisons individuelles, qui atteint presque le double des appartements en immeuble collectif (115 m2/63 m2) suffirait à expliquer le pouvoir magnétique des premières.
PARENTS / ENFANTS : DES TERRITOIRES MAIS AUSSI DES ECHANGES
Le redécoupage, par l’architecte Yves Lion, de la chambre et de la salle de bains traditionnelles dans une expérimentation à Villejuif (1986-1991) et sa correction dans une opération à Champs-sur-Marne (1987-1995) ont particulièrement bien révélé la manière dont parents et enfants délimitent et négocient leurs territoires. Sur la foi d’une demande d’individualisation des pratiques, d’un nouveau rapport au corps (de la gym au jogging en passant par les jacuzzi), en refusant la cécité des salles de bains du logement ordinaire et en prenant en compte le décalage entre la pérennité du gros œuvre et l’évolutivité du second œuvre, Yves Lion et François Leclercq avaient imaginé de substituer à la salle de bains commune des équipements de bain intégrés en façade . L’interchangeabilité des cabines de bains et des cuisines industrialisées devait permettre de suivre autant l’évolution des modes d’habiter que celle de la technologie des équipements de l’habitation. Le concept a beaucoup séduit les publications d’architecture mais son application à Villejuif l’a bien sûr appauvri : l’impossible industrialisation des cuisines et des salles de bains et le coût élevé d’une opération qui prenait aussi l’Immeuble-villas corbuséen pour référence (duplex, terrasses de double hauteur) n’ont permis que la mise en œuvre traditionnelle de cuisines, douches, baignoires et lavabos comme dans n’importe quel logement neuf. Il n’en reste pas moins que la salle de bains commune étant supprimée au profit de petites salles d’eau placées dans chaque chambre, la pratique de ces dispositifs bouleverse les usages conventionnels de la chambre et de la salle de bains.
Par exemple, certains habitants pratiquent de curieux chassés croisés, les parents utilisant la douche de leurs enfants, tandis que ceux-ci viennent prendre leur bain dans la baignoire logée dans la chambre-bains de leurs parents. Ces chassés-croisés entre baignoire des parents et douche des enfants sont un des modes d’adaptation au dispositif pour reconstituer les conditions d'individualité de la toilette et d'intimité de la chambre comme scène du couple. Les enfants font les frais de ces échanges, comme si les parents leur faisaient payer l'autonomie octroyée par la disposition d'un cabinet de toilette à soi ; en même temps, la multiplication des pratiques possibles forme un espace de négociation entre parents et enfants qui n’est sans doute pas le seul moyen de raviver le lien familial mais qui instaure un type original d’échange. Contrairement à nos hypothèses initiales, ce sont les couples sans enfant habitant des deux pièces qui se montrent les plus hostiles à la chambre-bains, du fait que les familles avec adolescents tirent profit du gain d’autonomie que celle-ci autorise. Utilisé par deux adultes ou deux enfants partageant la même chambre, le dispositif bute en effet sur l’ultime expérience, celle de la nudité du corps, dont on connaît la vulnérabilité. Confrontés à l’injonction d’une libération autant répressive que libératrice (Perrinjaquet, 1985), les habitus des usages du corps nu requièrent en fait pour la salle de bains un espace aussi clos que celui des toilettes.
La suppression de la salle de bains indépendante révèle une autre frontière entre le groupe domestique et les “ étrangers ”. Certaines familles admettent un certain partage des accessoires de toilette en contact avec le corps (serviettes de bains, gants de toilette, savonnettes, brosses à cheveux) entre conjoints et entre parents et enfants ; d’autres observent en revanche une stricte séparation de leur utilisation. Or, les chassés croisés perturbent l’appropriation des équipements de bain, sans compter qu’il faut bien les partager avec les visiteurs (d’un dîner ou d’un plus long séjour) à qui l’on doit permettre l’accès à l’une des chambres pour de plus ou moins grandes ablutions (Léger, Decup-Pannier, 1995a).
La confusion entre les usages publics et privés de la salle de bains sera contournée à Champs-sur-Marne, seconde opération pour laquelle Y. Lion avait initialement proposé la bande active, avant qu’elle soit refusée par le maître d’ouvrage. Le compromis trouvé par l’architecte ferme la salle de bains mais l’inclut dans le domaine des chambres, qui commandent son accès. Dans les quatre pièces, la distribution des points d’eau opposant cette salle de bains bicamérale à la chambre-bains produit un instructif regroupement des enfants dans les deux chambres entourant la salle de bains ; les parents occupent la chambre-bains, bien que celle-ci soit la plus petite des chambres (Fig. 9). Cette répartition est effectuée au nom de l’intimité corporelle (les enfants partageant un même ordre et désordre) et de la formation d’un ensemble formé par les deux premières chambres et la salle de bains. Comme à Villejuif, la forte identité respective des chambres élargit la flexibilité de l’attribution, car l’observation, au moment de l’enquête , d’une répartition opposant le domaine des enfants à la chambre-bains des parents ne préjuge pas d’une nouvelle attribution, demain, lorsqu’un adolescent préférera la chambre-bains plus autonome.
Enfin, plus largement, les enquêtes effectuées dans ces deux opérations et dans d’autres logements (Léger, Decup-Pannier, 1995b ; de Singly, Decup-Pannier, 2000) confirment que les enfants de parents séparés et pratiquant la garde alternée bénéficient souvent d’une chambre individuelle au domicile de chacun des parents, quitte à ce que celle-ci ne soit occupée qu’à temps très partiel et à ce qu’une des deux chambres soit privilégiée par l’enfant – davantage la chambre chez la mère, ce que l’attribution de la résidence de référence à la mère ne suffit pas à expliquer. Plus nouvelles peut-être sont les observations sur le statut de parent isolé, lequel se retire parfois dans le séjour en renonçant à sa chambre, comme si l’occupation d’une chambre devenait moins légitime dès lors qu’elle n’est plus “ conjugale ”.
LA CUISINE OUVERTE, OU LES FAUX-SEMBLANTS DE L’EGALITE HOMME/FEMME
Pour avoir été parmi les premiers, à Marseille, à ouvrir la cuisine sur le séjour – et pour ses déclarations sur la place de la femme dans la société –, Le Corbusier peut-il être qualifié de “ féministe ” ? (Samuel, 2003). Quant à l’ouverture de la cuisine, est-elle un signe d’affranchissement féminin et favorise-t-elle le franchissement du seuil de la cuisine par le mâle autrement que pour laisser sur le bord de l’évier son verre vidé ?
Avant la question du partage des rôles, c’est celle de la femme cuisinière qui est traitée par Le Corbusier et, avant lui, par Grete Schütte-Lihotzky, concepteur en 1926 de la fameuse cuisine de Francfort (Clarisse, 2004). G. Schütte-Lihotzky s’était basée sur des observations ethnographiques et sur ses propres relevés pour concevoir une cuisine ergonomique fondée sur la rationalité des gestes et, en réponse, sur celle du plan et des équipements. A Marseille, Le Corbusier et Ch. Perriand en reprendront les principes ergonomiques, en modifiant toutefois la relation cuisine-séjour. Fermée à Francfort, à Marseille la cuisine est ouverte mais filtrée par un passe-plats, thème répété par de nombreux architectes qui n’ignoraient pas que l’ouverture ne servirait pas à passer les plats mais plutôt à escamoter le débat fermeture/ouverture. Aucun homme ne croit vraiment à l’incitation au partage des tâches par la configuration de l’espace ; aussi est-on surpris, dans les enquêtes, d’entendre des femmes confirmer combien l’ouverture de la cuisine est un signe de désenclavement du statut, sans qu’une telle déclaration puisse être inférée aux variables sociologiques habituelles. Autrement dit, la cuisine ouverte donnerait à la femme le sentiment d’en sortir sans pour autant convaincre l’homme à y entrer et à s’y impliquer. Ce petit pas pour la femme n’est pas partagé par toutes, l’incorporation du rôle (et la réalité de la pratique) trouvant aussi avantage à avoir un lieu assigné, voire réservé, de même que l’espace du gros bricolage l’est encore à l’homme. La spécification des lieux demeure ; nous avons noté combien la table dite à manger (en fait, à tout faire) et la position assise qu’elle suppose (pour les repas bien sûr, mais aussi pour les devoirs et jeux des enfants, les jeux de société, la gestion domestique, la couture, le petit bricolage, etc.) est plus spécifiquement un lieu féminin, tandis que les hommes (père et fils) s’octroient les profonds fauteuils du salon tournés vers la télévision, ses matches, ses jeux et ses DVD.
Qu’ils soient de sexe masculin ou féminin, les architectes sont aussi divisés que les habitants. La cuisine de Villejuif aurait dû être ouverte ; débattue dans l’agence d’Y. Lion, la question fut réglée par un compromis : une cloison, mais pas de porte. Dans le bâtiment aligné sur la rue des Suisses, Herzog & de Meuron ont d’abord proposé des cuisines ouvertes en fond de séjour ; la RIVP leur demanda de les fermer ; les architectes répondirent en les fermant mais en découpant une imposte vitrée ; l’entreprise supprima bien entendu la vitre ; au vu des plans, les sociologue furent révulsés ; cependant, au cours de leur enquête (Léger, 2003), ils constatèrent que, chose jamais entendue, les habitants acceptaient ce dispositif en le replaçant dans tous les enjeux architecturaux de cette opération exceptionnelle, le grand pan de verre dispensant effectivement une luminosité suffisante à ces cuisines demi fermées. La chaîne syntagmatique de l’usage du logement établit en effet des relations et des pondérations entre chacun des maillons inégaux de l’usage, en regard du coût du loyer et des bénéfices symboliques retirés. L’attitude des habitants est à comprendre dans le contexte spécifique de cette opération de prestige : hors de ce cas précis, nul ne saurait recommander des cuisines en fond de séjour.
FAMILLE ET HABITATION EVOLUTIVES
Dans l’opération de Champs-sur-Marne, Yves Lion, on l’a vu, avait proposé qu’une chambre-bains soit rendue autonome par l’ouverture d’une porte sur le palier d’étage. Ici comme après tant de tentatives antérieures de la part d’autres architectes, le maître d’ouvrage n’a pas suivi cette demande potentielle d’hébergement d’un parent jeune ou âgé ou bien d’un proche, demande dont tout le monde dit pourtant qu’elle est souhaitable pour le maintien des liens entre les générations. La réglementation et la routine ne prennent pas la peine de chercher des réponses à la question du bail, du loyer, etc., pour ces petites surfaces, disponibles (dans des conditions souvent scandaleuses) sur le marché immobilier des grandes villes mais que les institutions du logement social s’interdisent de réaliser par crainte des abus. Fermer/ouvrir : la porte demeure le dispositif zéro de la flexibilité, ce qui fait dire que, pour qu’une porte soit ouverte, encore faut-il qu’elle existe... Dans les usages familiaux et sociaux, la subtilité anthropologique de la limite marquée par une porte, dont le franchissement est réglé par des codes spécifiant chaque culture (Bonnin, 2000), échappe à la plupart des architectes, auprès desquels le mouvement moderne a répandu la magie de la fluidité, de la promenade architecturale et de la vue panoptique. Les portes semblent ainsi imposées par des maîtres d’ouvrage régressifs, traducteurs de mœurs habitantes fondées sur une notion aussi archaïque que celle d’intimité.
L’évolutivité et l’élasticité ne devraient pas être confondues avec la flexibilité, terme à réserver à la double capacité d’un logement d’accueillir des usages différenciés et de modifier sa distribution interne. Thème chéri par les nombreux architectes qui, dans les années 1960-1970, y ont vu un défi à la conception du bâtiment – immobile par essence –, la flexibilité se réduit aujourd’hui à une porte coulissante entre la cuisine et le séjour, au mieux. A Marseille, Le Corbusier faisait glisser une cloison-tableau noir entre les deux chambres d’enfants pour les réunir le jour (ne manquait que lui dans le rôle du maître d’école). Et encore, dans les années 1970, l’ingénieux Philippe Deslandes construisant de petits immeubles à Châtenay-Malabry jouait-il sur la réunion/séparation de l’entrée, du séjour ou d’une salle de jeux. Car ce qui règle la flexibilité, c’est la temporalité : tous les dispositifs d’ouverture/fermeture font varier le diagramme à triple entrée croisant les espaces, les usagers et les variations quotidiennes ou à temporalité plus longue.
La maison individuelle est bien entendu la plus vouée à la flexibilité. Il n’est point besoin de concours de maisons agrandissables pour que les occupants d’un pavillon sachent accroître leur surface habitable dans la cave, les combles ou le garage, en rusant avec le permis de construire et les yeux des mairies, volontiers fermés. Parmi tous les ensembles de maisons groupées, celui réalisé par Alvaro Siza à Évora (Portugal) dans le quartier de Malagueira apporte une pierre particulière à la problématique de la maison agrandissable (Hoddé, Léger 2003). La multiplication de modules dans les typologies évolutives est un thème récurrent chez les architectes modernes depuis l’expérimentation de Gropius au Weissenhofsiedlung de Stuttgart en 1927, mais aucune expérience n’égale celle d’Évora, où 1 200 maisons ont été construites depuis 1977 pour former un quartier considéré par la critique architecturale internationale comme sans équivalent en Europe. La typologie évolutive de Siza lui sert d’abord à décliner le même type de maison (c’est à dire la même structure distributive) du trois pièces au six pièces mais elle permet aussi aux propriétaires d’une petite maison de l’agrandir par la suite jusqu’à six pièces en suivant (en principe) un cahier des charges rédigé par Siza. Cette opération, couramment pratiquée tout autour d’une Méditerranée dont les paysages périurbains sont joliment agrémentés de maisons jamais finies aux fers à béton rouillés dépassant des poteaux, est ici facilitée par la conception architectonique de maisons à la volumétrie cubique et au toit plat. A Malagueira comme ailleurs, les pièces supplémentaires sont gagnées sur les terrasses ; mais pourquoi donc s’agrandir ?
Conçues au départ comme des habitations sociales, ces maisons ne répondent plus aujourd’hui aux attentes des ménages des classes moyennes qui, pour les deux tiers du parc, en sont propriétaires. Les besoins d’espace des locataires ne sont pas moindres mais leur statut ne leur permet que des ajouts plus précaires dans le patio. L’agrandissement vise bien sûr à ajouter des chambres supplémentaires mais aussi des pièces de travail et de loisirs. Contrairement à ce que nous attendions, il ne s’agit pas tant d’attribuer une chambre à chaque enfant que de diversifier les espaces de vie jusque là concentrés dans le séjour : travail, musique, télévision, couture, bricolage… Il peut s’agir aussi d’héberger ses parents âgés en construisant dans le patio une chambre et un salon fermant en U la forme initiale en L de la maison. Ces extensions n’ont pas de spécificité lusitanienne sensible : élargissement de l’espace répondant à une diversification et à une individualisation des activités et des espaces au domicile, l’hébergement précité de parents âgés étant peu répandu, ne serait-ce qu’en raison de la petite taille des maisons.
LES LIEUX D’EXTENSION DES RELATIONS FAMILIALES
La sociologie britannique a beaucoup décrit les fortes traditions de voisinage outre-Manche dans des contextes d’habitat individuel que les Français ont longtemps cru inaptes à ce type de sociabilité . Young et Willmott (1957), par exemple, avaient étudié la manière avec laquelle, dans le quartier londonien de Bethnal Green, relations familiales et relations de voisinage étaient étroitement intriquées, du fait du rôle essentiel des femmes dans l’organisation de la vie domestique comme dans celui des relations familiales et sociales – ce qui, pour une fois, ne distingue pas la France de l’Angleterre, du moins la France populaire de l’Angleterre populaire. De nombreux planificateurs et concepteurs des urbanisations nouvelles ont souhaité recréer les conditions de cette sociabilité pour les populations déracinées qu’ils relogeaient. Ce n’était pas le souci des architectes des grands ensembles, le plus souvent bornés à l’implantation d’équipements fonctionnels. Coursives, paliers d’étage élargis, salles de réunion n’ont généralement pas suffi à pallier l’anomie des lieux ; et quand, à l’inverse, les halls d’immeuble deviennent l’usage exclusif de groupes de jeunes, celui-ci tombe sous le coup de la loi... Il faudra attendre le retour à l’urbanisme d’îlot pour que la cour soit à nouveau pensée comme le lieu d’une sociabilité intermédiaire entre le logement et la rue. Espace unitaire plus ou moins clos, elle est chargée par ses concepteurs (et par ses maîtres d’ouvrage) d’attentes sociales fortes et contradictoires puisqu’elle doit être à la fois un espace de rencontre animée et de retraite reposée . A Paris, elle serait en somme l’une des applications de l’idéologie du Paris-village – perceptible bien avant que le maire Jean Tiberi n’en fasse un slogan et que Amélie Poulain ne lui donne le destin fabuleux que l’on sait – si les cours d’immeubles n’étaient aussi des espaces sécurisés. Le cahier des charges de leur conception n’inclut pas seulement les “ 3 S ” , mais aussi accueil et convivialité, autrement dit la lune. Autant que celle des espaces intimes du logement, la conception des cours est en effet un véritable coup de dés. Avant d’avoir rencontré les habitants du 177, rue de la Roquette, nous émettions par exemple les hypothèses les plus pessimistes face à cette cour austère aux vis à vis a priori insupportables. La cour est un thème constant chez Diener & Diener, qui organisent la plupart de leurs projets d’habitation en Suisse ou en Allemagne autour d’une ou plusieurs cours ouvertes ou fermées. Rue de la Roquette, elle se présente comme un carré de petite dimension (300 m2) auquel on accède par une faille, passage étroit à l’“ allure de mémorial ” (Edelmann, 1997). La gravité de la cour est accentuée par l’inscription d’un poème de Paul Valéry sur un mur pignon et par un aménagement du plasticien Dani Karavan réduit à un arbre, une fontaine, une boule et un banc de pierre – que les habitants imaginent être une évocation des pierres tombales du Père-Lachaise tout proche...
En réalité, cette cour s’avère un lieu identitaire fort, la faille en baïonnette créant un lieu mi-clos à l’abri du regard de la rue. Il ne fait pas de doute que les habitants auraient préféré des plantations plus généreuses – en témoignent les timides plots posés au pied de l’arbre solitaire –, mais la solennité du lieu convient à sa mission de place d’échanges et d’organisation de fêtes d’autant plus réussies que les habitants relèvent de catégories professionnelles homogénéisées par l’appartenance à la grande famille de l’Assistance publique, gérante des logements, et que la gardienne tient efficacement sa place de médiatrice bienveillante mais stricte – pour d’autres habitants, l’excessive endogamie est plus pesante. Pour tous les ménages avec enfants, la cour retrouve l’usage conventionnel qu’elle a dans toutes les villes du monde où les typologies à cour existent, celui d’un espace familial et de voisinage à la fois, les jeux des enfants servant de médiation à l’interconnaissance des parents.
Dans sa perception, la cour de la deuxième équipe bâloise (Herzog & de Meuron rue des Suisses) est au contraire une figuration du naturel : sol en stabilisé, plantations de nombreux bouleaux et, selon la réputation des architectes, de glycines grimpant par un procédé sophistiqué le long des murs pignons en béton apparent. La cour en L sépare et lie à la fois trois bâtiments collectifs et deux petites maisons, la dureté du béton apparent et de l’aluminium (volets) des bâtiments sur rue s’opposant à l’aménité des plantations et du bois des volets du bâtiment sur cour. La cour constitue une courte mais véritable promenade sur laquelle les habitants de ce bâtiment mettent en scène depuis leurs vérandas des objets exotiques dans une surprenante continuité avec le bois des vérandas et des volets. Cette confiance peu ordinaire tient au contrôle social entre voisins, les relations s’exprimant aussi à travers le degré élevé des échanges et services autour des enfants. L’identification de ces occupants plus bourgeois que bohèmes à ce lieu tient à sa singularité architecturale, largement médiatisée, et à l’exacerbation de l’identité des habitants de l’immeuble par les manifestations de rejet de cette opération dans le quartier . Là aussi, les enfants sont un médiateur essentiel de la densité des relations entre parents, lorsque la fréquence des échanges, typiquement bobo, devient un véritable mode de garde des enfants, au point que les ménages isolés sont tenus à l’écart de cette sociabilité-là. On pourrait croire que cet être-sociable est un paraître, une manière mondaine de se montrer ouvert et causant ; en réalité, il repose sur le partage d’intérêts bien compris : avant les avantages de participer à un milieu dont on pourra toujours retirer quelque chose, il s’agit d’organiser la garde ou les loisirs de ses enfants ou bien de défendre l’image sociale de son immeuble, c’est-à-dire d’assurer ses propres positions sociales. La sociabilité de voisinage dans l’immeuble de la rue des Suisses est ainsi typique de ce que l’on savait déjà des classes supérieures en centre ancien (Grafmeyer, 2001) et des pratiques de sociabilité des nouvelles classes moyennes identifiées il y a trente ans déjà (Ion, 1975 ; Bidou 1984).
CONCLUSION
Malgré l’inertie et le coût du bien “ logement ” (pour la collectivité comme pour le particulier) la diversité dans l’offre architecturale, au-delà d’une réponse à la gamme des goûts esthétiques et des manières d’habiter, est une contribution à la civilisation, dont une (toute petite) partie de la richesse se mesure par la capacité des architectes à renouveler les formes architecturales et urbaines, lesquelles constituent les paysages urbains et les décors de la vie domestique quotidienne. La superposition du projet social et du projet architectural fait que le meilleur de l’architecture du logement est dû à des concepteurs ayant tous eu une vision de l’homme dans l’espace et dans la société.
L’engagement des architectes dans le logement de masse à partir des années 1920 s’est réalisé sur l’hypothèse d’une économie des formes et des moyens (la seconde supposant la première) qui n’a cependant pas ménagé sa peine. Le fonctionnalisme est une simplification qui doit être comprise dans le contexte de l’immense pénurie de logements populaires, jusqu’aux années 1960, et par opposition à l’architecture de la pâtisserie et du paraître du XIXe siècle. Les expériences remarquables des premiers modernes (Oud et Brinkman aux Pays-Bas, May et Taut en Allemagne, Jacobsen au Danemark, Aalto en Finlande, Lurçat et Le Corbusier en France, etc.) rachètent, en un sens, la paresse des Grands Prix de Rome, dont les honoraires plus que confortables ne les empêchaient pas, sauf exception, de considérer le logement social comme “ la saloperie qu’on fait pour gagner sa croûte ” (Le Corbusier parlant de ses confrères, in Chombart, 1960, p. 201). Pour tous, l’architecture des barres exprimant l’égalité entre les habitants supposait l’abstraction tant dénoncée mais aussi une mise à disposition du confort pour la seule famille nucléaire ; pour elle seule, certes, mais quelle autre unité a jamais été au fondement de tout dénombrement, programme et projet ? Dans tout ce que l’on dit des grands ensembles, les points de vue s’accordent sur le confort des logements eux-mêmes . En revanche, dans les années 1970-1980, la diversité des réponses à apporter à l’uniformité des grands ensembles – et à celle des manières d’habiter qu’ils étaient censés induire – a parfois produit des logements que seule la crise persistante du logement pouvait rendre habitables. Néanmoins, l’évaluation des innovations par leur usage était nécessaire, pour les valider ou les condamner autrement que par un jugement a priori, ce dont ne se prive pas la critique au quotidien, celle de la presse architecturale comme celle, pire, de la rumeur.
Les représentations de la famille par les architectes survalorisent les nouvelles compositions familiales, sujet de prime time télé qu’ils récupèrent au nom d’un aménagement de la polyvalence des espaces. Heureusement, pas plus que celui du territoire, l’aménagement du logement ouvre aux acteurs autant de possibles qu’il en ferme. La diversification de l’offre, engagée sur des intuitions n’ayant généralement pas les moyens de ses ambitions, est cependant avantageuse, lorsque la distance prise avec les conventions favorise une identification pratique ou esthétique avec les lieux habités. Les innovations les plus notables concernant les espaces de la famille sont celles qui favorisent l’autonomie des enfants, ce qui ne signifie pas toujours leur simple individualisation. Par exemple, dans l’opération réalisée à Champs-sur-Marne par Yves Lion corrigeant sa réalisation expérimentale de Villejuif, la formation – non recherchée spécifiquement par l’architecte – d’un domaine des enfants autour d’une salle de bains partagée unifie la fratrie en l’opposant topographiquement aux parents. Une autre distribution familiale y est cependant possible, de même que les différents types de duplex de Villejuif autorisent de multiples choix d’occupation en fonction des variables de chaque chambre. A l’évidence, la multiplication de tels possibles est une direction de recherche qui devrait être poursuivie.
La diversification de l’offre passe encore très peu par l’appel à des architectes étrangers, sollicités par de rares maîtres d’ouvrage pour renouveler les manières de concevoir. L’importation d’un “ plan bâlois ” refusant le dogme français de la partition jour/nuit et rééquilibrant la taille des pièces rencontrerait davantage les manières d’habiter hexagonales si une nouvelle conscience des enjeux sociaux de l’habitat pouvait ouvrir celle de la surface des logements neufs, largement inférieure aux standards européens. L’inversion du jour/nuit n’est cependant pas notée comme telle par des habitants qui retrouvent les vertus du corridor. Une telle acceptation ne signifie pas pour autant que les habitants “ demandent ” un corridor ; celui-ci ne représente qu’une distribution possible. Pour se déterminer, chaque habitant devrait avoir fait l’expérience des deux types de distribution, sachant que les attentes sont différentes selon l’âge des enfants, donc selon le cycle de la vie familiale.
Aujourd’hui, les habituelles préoccupations formelles des architectes ont d’autant plus pris le dessus que le désengagement social général accompagne le profil bas de bailleurs sociaux qui, légitimement préoccupés par la gestion d’un parc au bord de la crise de nerfs ou de la banqueroute, sont devenus totalement indifférents à ce qui les avait motivés et avait motivé les architectes pendant si longtemps : le confort, les manières d’habiter, l’être ensemble. La réinvention quotidienne du monde conduit à effacer le capital des expériences des années passées. Exemple parmi d’autres : que sont devenues les dizaines d’opérations d’habitat autogéré aujourd’hui confrontées à la transmission patrimoniale ? Ou encore : qui fera le bilan des expériences de logement aménageant la cohabitation permanente ou temporaire d’un membre du groupe domestique ou d’un tiers ? Il est regrettable que le capital des évaluations socio-architecturales ne puisse pas être l’outil de programmation de la recherche architecturale en matière de typologies, mais aussi de manières de construire et de matériaux dans la perspective du développement durable et des extensions périurbaines. Il est irresponsable que l’imagination soit laissée à la solitude des concepteurs ; alors que, pour la mise au point de nouvelles technologies, ceux-ci sont associés depuis longtemps aux ingénieurs, pour tout ce qui regarde les typologies du logement, c’est à dire pour tout ce qui engage l’intimité et la vie familiale, ils se retrouvent encore comme des joueurs autour d’un tapis vert.
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RESUME
Comment les architectes se représentent-ils les manières d’habiter des familles ? Et comment les familles reçoivent-elles, utilisent-elles, détournent-elles les dispositifs mis en espace par les architectes ? Les intentions des architectes sont autant mues par une créativité hasardeuse que par les savoirs sur les usages. Les origines utopistes, révolutionnaires ou réformistes de la mission “ civilisatrice ” de l’habitation ont été de fortes références jusqu’à ce que l’évolution de la morphologie familiale motive l’aménagement de la polyvalence des espaces, de l’autonomie des enfants ou de l’égalité homme/femme. Seule l’évaluation de cette offre architecturale permet de valider ou de condamner des dispositifs qui n’ont de sens que les uns en relation avec les autres et dans la situation singulière de chaque l’immeuble, ce qui redéfinit chaque fois la frontière entre le beau et l’utile.
Mots-clés : architecture, expérimentation, famille, habiter, logement.
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